RECITS DE VECU CROISES D'UN LYCEEN ET D'UN OUVRIER LORS DE LA MANIFESTATION DU MARDI 19 OCTOBRE 2010
RECITS DE VECU
A la terrasse d'un café de Rennes, à la fin de la manifestation du mardi 19 octobre 2010, je rencontre Eric, un lycéen et son père Marcel qui viennent de participer à la manifestation et se sont donnés rendez-vous à cette terrasse avant de reprendre leur voiture.
" Je m'appelle Eric, j'ai 17 ans, je suis lycéen dans un lycée privé catho de Rennes et je viens de participer à la manif avec mes potes du lycée.
Pourquoi ai-je participé à cette manif ? d'abord parce que j'ai été écoeuré et même révolté que des membres du parti de Sarko n'arrêtent pas de nous dire que nous les jeunes nous n'étions pas capables d'avoir des idées politiques, que nous étions manipulés par des profs et que notre place était de rester rivés à nos tables de lycée en attendant sagement que nos profs nous déversent leur lot de "savoirs" à engranger quotidiennement dans nos esprits. Pour eux nous sommes responsables pénalement à notre âge mais par contre, on nous refuse tous droits de citoyen ! et même le droit de nous projeter dans l'avenir puisque d'après eux nous sommes, soit-disant trop jeunes, pour nous projeter dans l'avenir des retraites : de fait, nous n'avons pas d'avenir, si ce n'est le chômage, la retraite à plus de 70 ans ! Voilà l'avenir qu'ils nous ont tracé !
Ce sont eux qui nous volent notre avenir ! Et ils se demandent pourquoi nous sommes en colère !
- Oui, je suis le père d'Eric et vous me demandez si j'ai fait quelque chose pour l'empêcher de participer aux manifs : eh ben non, car je l'estime conscient de ses responsabilités et puis la manif c'est aussi une école de la citoyenneté ensemble avec les copains, surtout lors de la préparation... Par exemple, créer une banderole ça demande de la réflexion pour trouver le slogan pertinent qui sera repris par tous.
Qui sème la misère
récolte la colère !
- T'as raison papa, pour la première fois, ensemble, on a préparé nos banderoles sous le préau, on a choisi un rythme de samba brésilienne pour notre marche, puis on s'est réuni pour dialoguer autour de la réforme alors que d'habitude dans notre lycée, on n'a qu'à engranger la parole de nos profs et c'est chacun pour soi ! Bref , le règne de la compétition individuelle et du bachotage !
- Personnellement, j'ai beaucoup appris en occupant une usine délocalisée, il y a deux ans, la solidarité ce n'est pas un vain mot ! Ensemble on se soutient moralement et financièrement. On apprend aussi à prendre la parole alors que les nantis nous disent "Bosse et tais-toi !".
Oui, ça été difficile à avaler cette délocalisation car nous n'avons pas seulement perdu notre boulot (j'ai 53 ans et je suis toujours en chômage !) mais surtout on nous a volé notre "savoir-faire" acquis pendant plus de trente années de boîte ! Aujourd'hui mon "savoir" compte pour rien ! A moi de me recycler comme ils disent ces patrons-voleurs qui s'accordent d'énormes primes sur notre travail ! C'est trop injuste de nous déposséder ainsi de nos richesses produites par notre boulot quotidien !
- Oui, finalement, on fait la manif aussi parce que y'en a marre des injustices. Parlons pas de la justice des juges proches des nantis et qui est si tolérante avec les riches tandis qu'elle envoie en prison, parfois pour des broutilles, les plus pauvres qui n'ont pas les moyens de se payer un bon avocat !
- Oui, nous allons continuer et gagner car jusqu'ici ils ne nous écoutent pas et au fond ils nous méprisent... Et puis c'est une bouffée d'oxygène que de retrouver nos anciens collègues manifestant à nos côtés ! On en oublie nos angoisses face à l'avenir !"
Regards intergénérationnels croisés et récits de vécu recueillis par Christian Leray le 19 octobre 2010.
Vers la fin d'un discours extrêmement important
le grand homme d'Etat trébuchant
sur une belle phrase creuse
tombe dedans
et désemparé la bouche grande ouverte
haletant
montre les dents
et la carie dentaire de ses pacifiques raisonnements
met à vif le nerf de la guerre
la délicate question d'argent !
Jacques Prévert, Paroles, 1946.