Langage et société
Dans le n°73 de Langage et Société de septembre 1995, Philippe Blanchet, Professeur et Chercheur en sociolinguistique au laboratoire PREFICS de l'Université Rennes2, écrit notamment dans son Compte-Rendu de ce livre Dynamique interculturelle et autoformation - Une histoire de vie en pays gallo (L'Harmattan, 1995, 385 pages) : "Toute la problématique y est posée au coeur des relations entre "inter" et "auto". Interactions langagières, interformation, interculturalité, qui sont aussi toujours action sur soi-même, autoformation, production de sa propre identité (et inversement) puisque "se mettre en jeu, c'est se mettre en je" selon l'une des formules plaisantes de Ch.Leray. La volonté de ne pratiquer ni réduction, ni disjonction simplificatrices s'inscrit dans un tournant épistémologique novateur et désormais mieux affirmé, celui de la "pensée complexe", où les concepts de "continuum", de "système ouvert", permettent d'articuler homogénéité et hétérogénéité.
Le corpus, qui sert à la fois de matériau et d'exemple à l'analyse, est constitué par le récit d'histoire de vie d'Ernestine Lorand, recueilli entre 1986 et 1991 dans le Morbihan gallo (c'est-à-dire non bretonnant). Ce récit est publié dans son intégralité aux pages 238-348 de ce volume. Un lexique gallo extrait du récit figurait dans la thèse (soutenue à l'Université François Rabelais de Tours en 1991, sous la direction de Nicole Gueunier). L'éditeur ne l'a pas reproduit, ce que l'on peut regretter car il offrait en sus une précieuse information lexico-sémantique (et donc culturelle). Cependant, les notes et traductions ajoutées par Ch. Leray et E. Lorand permettent aux non-gallésants de recevoir aisément le texte. on notera au passage que le livre est signé par les deux "co-énonciateurs" de l'histoire de vie et de l'analyse/synthèse scientifique produites, conformément à la théorie qui y est développée et à ses dimensions éthiques. On en goûtera aussi tout simplement la saveur, le profond ancrage rural, l'émotion d'une personne qui se livre..." (Langage et Société, 1995, p.86)
Cette saveur de sa langue, Ernestine a su la faire partager à toutes les générations et la meilleure preuve nous est fournie par cette poésie en gallo que son petit-fils a écrit pour l'enterrement de sa grand-mère avec qui il parlait gallo régulièrement et notamment chaque fois qu'il rentrait du collège, puis du lycée par l'autobus de ramassage scolaire. En effet, Mémé autrement dit grand-mère Ernestine accueillait quotidiennement dans sa cuisine ses petits enfants, à leur retour de l'école, avec un grand bol de chocolat, consciente qu'elle était de l'importance de ce dialogue intergénérationnel :
Ma p'tite mémé
Asteur, je së ici bas dëpé 37 annës
Y en a meme qui m'donnent du Mossieur
Mins mézë, je së comm un queniaou tout eplorë
Parce que sa p'tite mémé se n'est allée
Je chonge aux crêpes, à tot ces netées
Au nouvel an avec tes p'tits enfants
Min mézë, je së tout eplorë
Ma p'tite mémé s'en est allée.
Y a pas d'naï, y'a pas d'blan,y'a qu'des gens !
Ya pas d'rich, y'a pas d'pôv, y'a qu'des gens !
Ne r'gard point tant c'qu'ils ont à montrë, les gens
Min zieute ben, ouaille ben, et r'gard putôt en d'dans !
Tu peux te r'posë benaize, Mémé
Nous aout, nan a ben tout ecoutë
Nan asseyë d'êt dé gens bien, d'allë d'l'avant tant qu'on pouë
Et comm ta, quand cé hardi d'dë, on r'commence diqua y arivê.
Ta voix roulait comme les rocailles sur la terre où tu es née
Entraînant mille souvenirs dans son sillage
Le chêne du gallo n'est pas prêt de tomber
Tu es de ceux qui n'ont pas permis qu'il soit déraciné !
Tu n'te r'chomra pu ma p'tite mémé
Min j'ouïrai tojor ta voix dans mes orels
Et chaque fa, au printemps, quand j'ouïrai le merl qui subelle
Je chongerai, ol est pa ben lin, ma p'tite mémé qui se n'est allée.
A suivre traduction de Christian